C'est à ce moment la que j'ouvre la boite aux lettres.
Tiens, un avis de passage du facteur pour un recommandé. Bon, que je me dis, ça doit être les papier pour demander l'immatriculation de mon nouveau cheval (
souvenez-vous, merde...). Comme j'ai pris une journée de congés a cet effet, justement (comme quoi la préfecture serait ouverte de 10h45 à 12h15, si tu vois ce que je veux dire), je me dis que bon, c'est bien tout ça.
D'expérience, je sais que le bureau de poste ferme ses portes à 18h30.
Il est 18h26.
Je suis tout à fait calme, le bureau de poste se trouve à environ 350 m de ma boite aux lettres.
Il me reste 4 minutes pour aller chercher les précieux documents et ainsi mener à bien cette mission très périlleuse, demain, qui consiste à arriver à la préfecture pendant les horaires d'ouvertures.
Je pars sans tarder, en pressant le pas un peu quand même, parce que bon c'est bien joli d'être calme mais y'a des fois où merde, non mais alors...
18h29 et 30 secondes, le bureau de poste est là, à portée de main, je peux quasiment le toucher. Les portes sont fermées, alors je me dis, sereinement : "Putain de bordel de merde, sa race maudite !". Cette phrase est pour moi comme un sésame, qui m'a maintes fois sauvé la mise. Et cette fois encore le miracle s'accomplit : un type sort du bureau de poste, les portes automatiques s'ouvrent en grand, je m'engouffre dans le local, ou patientent encore quelques clients.
Brigitte, car elle avait vraiment une tronche de Brigitte, m'acceuille avec toute la courtoisie que son gracieux physique suggère (ah non, désolé, on avait dit pas le physique, au temps pour moi...).
S'ensuivent alors les faits dramatiques que je me dois de retranscrire ici :
Brigitte : "Ah non, c'est fermé monsieur !"
Je me fige et regarde l'heure, incrédule : 18h30 sur la pendule offcielle de la poste. Je tend mon avis de passage du facteur, abasourdi.
Moi : "Mais ma... ma... maiis... maaaiiiheuu... C'est juste un recommandé à retirer, ça prend deux secondes..."
Brigitte : "Non monsieur, c'est fermé, là, c'est pas possible, c'est fer-mé !"
Faire abstraction.
Oui, voila.
Faire abstraction.
Ne pas se laisser emporter par la colère et la haine. Ne pas se dire que je vais perdre une matinée à cause de la paresse de cette misérable conne. Ne pas avoir ces visions de Brigitte hurlant de douleur alors que je lui plaque mon flingue sur la tampe après lui avoir explosé les genoux.
Non. Je suis quelqu'un d'équilibré.
Même si j'ai un tout petit peu envie de la tuer, quand même.
Moi : "S'il vous plaît, c'est vraiment très important, j'en ai besoin ce soir."
Bon, d'accord, je mens un peu, parce que j'en ai besoin pour demain matin, en vrai, mais bon c'est Brigitte, elle n'a pas besoin de connaître les détails.
Brigitte : "NON MONSIEUR ! Revenez demain."
Vous croyez qu'elle m'aurait dit "bonne soirée" ou même "désolée" ? Rien du tout.
Bon, ok Brigitte. Il y a deux autres guichets ouverts dans ce bureau. Je vais rester là, calmement, et attendre que l'un d'eux se libère. On verra si tes collègues sont aussi abrutis que toi. Merde : le premier guichet qui se libère est celui de Brigitte.
Je suis là, planté comme un yucca au beau milieu du bureau de poste, l'air hagard. Je ne me vois pas, mais j'ai l'impression de faire la tête de quelqu'un à qui on vient d'annoncer son cancer. En même temps, j'imagine que je coupe un à un les doigts de Brigitte avec un sécateur rouillé. Cela dit, je suis quelqu'un d'équilibré, hein...
Brigitte part dans l'arrière boutique en m'ignorant.
"Putain de bordel de merde, sa race maudite !", que je me dis dans ma tête, comme ça, on ne sait jamais, si mon sésame veut bien fonctionner une seconde fois en si peu de temps.
Brigitte réapparaît.
Brigitte : "Bon allez, venez..."
Moi : "Ah... Merci... C'est juste un recommandé, je vous promet que je ne vous embêterai pas longtemps..."
Ma conscience : "Sale conne, je cracherai sur ta tombe !"
Brigitte : "Oui non parce que vous comprenez, déjà hier soir on a fermé en retard... Bon, j'espère que je vais la trouver votre lettre, hinhinhiinnn..."
Moi : "Vous êtes gentille, merci beaucoup."
Ma conscience : "Je m'en fous de ta vie, connasse. Tu crois que je vais te couvrir de louanges parce que tu fais deux minutes d'heures supplémentaires ? Vas chercher et tais toi, tu m'insupportes, je te conchie."
Brigitte revient avec ma lettre.
Brigitte : "Voila. Vous signez là et là."
Ma conscience : "Je suis au courant, poufiasse, ne me prend pas pour une truffe."
Moi : "Merci encore, bonne soirée."
Brigitte : "Bonne soirée."
Ma conscience : "C'est ça, t'es conne, mais t'es bonne... Ah bah non, même pas."
C'est dans ces moments la que je me demande si des fois je ne serai pas un peu rancunier.
Je vous souhaite le bonjour.